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Les auteurs : Smith et Ricardo, les classiques

Publié le 17/09/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Jean-Pierre Potier
Les économistes "classiques" sont souvent tenus pour les véritables fondateurs de la science économique, en raison de leur recherche de "lois naturelles" gouvernant le fonctionnement de l'économie capitaliste. Cet article présente deux de ces économistes classiques : Smith et Ricardo.

Economie classique et école classique

Marx invente l'expression "économie politique classique" pour désigner ceux qui ont contribué à mettre en évidence la "connexion interne" des formes de la richesse et à en rechercher les lois fondamentales: d'une part en Angleterre, les auteurs de W. Petty à Ricardo, d'autre part en France, les auteurs de Boisguilbert à Sismondi (voir la Contribution à la critique de l'économie politique, 1859 et Le Capital - Livre 1, 1867). Selon Marx, Malthus et J. S. Mill marquent la transition de l'"économie classique" vers l'"économie vulgaire", tandis que J.-B. Say et R. McCulloch représentent une première phase de l'"économie vulgaire", qui raisonne dans un monde d'apparences et tombe dans l'apologie du mode de production capitaliste.

Plus tard, dans la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt de la monnaie, J. M. Keynes propose sa propre définition de l'"école classique": non pas les prédécesseurs, mais les successeurs de Ricardo, à savoir J. S. Mill, A. Marshall, F. Y. Edgeworth et A. C. Pigou, dont le point commun serait l'acceptation de la loi des débouchés de J.-B. Say.

Dans son Histoire de l'analyse économique (1954), Schumpeter s'intéresse aux "situations classiques", qui désignent des moments particuliers de consolidation et de synthèse des progrès réalisés par l'analyse économique. Selon lui, l'"âge classique" couvre les années 1790 jusqu'à la fin des années 1860 (du premier Essai de Malthus aux Principes d'économie politique de J. S. Mill). La Richesse des nations (1776), ouvrage-phare de la "Première situation classique", fondatrice de la science économique, se trouve placé curieusement en amont de la période, tandis que les Principes d'économie politique de J. S. Mill serait l'ouvrage caractéristique de la "Seconde situation classique", la troisième étant représentée par les Principles of Economics de Marshall, ouvrage paru en 1890.

La délimitation la plus courante de l'"école classique" privilégie la lignée d'auteurs dont les contributions théoriques s'échelonnent entre la Richesse des nations (1e édit., 1776) de Smith et les Principes d'économie politique (1e édit., 1848, 7e édit. 1871) de J. S. Mill. Entre ces deux ouvrages, paraissent ceux de Malthus (les deux versions de l'Essai sur le principe de la population, 1798 et 1803 ainsi que les Principes d'économie politique, 1820), de Ricardo (Principes de l'économie politique et de l'impôt, 1e édit. 1817, 3e édit., 1821) et de J.-B. Say (Traité d'économie politique, 1e édit., 1803, 5e édit., 1826). La plupart des ouvrages marquants font ainsi l'objet de plusieurs éditions successives, ce qui révèle des pensées très évolutives, marquées par les grandes controverses du temps.

Au plan historique, la période classique s'étend de 1776 à 1870 environ, c'est-à-dire jusqu'à la "Révolution marginaliste".

Adam Smith, le fondateur

Adam Smith (1723-1790) a souvent été considéré comme le véritable "père de l'économie politique", car la Richesse des nations représente le socle commun à partir duquel les auteurs classiques vont forger leurs propres conceptions.

Adam Smith est le fils d'un contrôleur des douanes d'Ecosse. De 1737 à 1740, il étudie à l'Université de Glasgow, où il suit les cours de philosophe morale de Francis Hutcheson (1694-1746), lui-même élève de Gershom Carmichael, et auteur notamment de A System of Moral Philosophy, in Three Books (2 vols., London, 1755). Grâce à une bourse, de 1740 à 1746, Adam Smith étudie au Balliol College d'Oxford, mais l'expérience lui paraît plutôt décevante. De 1748 à 1751, il exerce les fonctions de professeur de rhétorique et belles-lettres à l'Université d'Edimbourg. Il se lie avec le philosophe écossais David Hume. En 1751, il obtient une chaire de philosophie logique à l'Université de Glasgow. L'année suivante, il obtient la chaire de philosophie morale qu'occupait F. Hutcheson, de 1729 à 1746, et il enseignera jusqu'en 1764. Durant cette période, il publie la Théorie des sentiments moraux (1759). Les cours de Smith à l'Université de Glasgow, les Lectures on Jurisprudence, sont connues grâce aux notes prises par deux étudiants. Aux alentours de 1763, il rédige aussi l'Early Draft (Premier brouillon) d'une partie de la Richesse des nations. Adam Smith devient ensuite précepteur du jeune duc de Buccleugh, à partir de février 1764 et en principe jusqu'en 1767, année de sa majorité. En effet, tout jeune noble, parvenu à l'âge de dix-huit ans, devait accomplir un "grand tour" d'Europe durant deux ans pour parfaire son éducation. A Paris, Adam Smith fréquente le salon de la duchesse d'Enville, confidente de Turgot. Grâce à cette duchesse, il entre en rapport avec les Physiocrates et il prend connaissance des articles de l'Encyclopédie (Epingle, Fermier, Grain, Foire....). Il fréquente aussi le salon de Melle de L'Espinasse, où il va rencontrer D'Alembert, Diderot, D'Holbach, l'Abbé Morellet et Turgot. Mais, en novembre 1766, le jeune duc doit rentrer à Londres plus tôt que prévu. Le "grand tour" rapporte cependant à Adam Smith une pension à vie de £ 300 par an, qui lui permet d'écrire tranquillement à Kirkaldy son oeuvre majeure, An Inquiry into the Nature and the Causes of the Wealth of Nations. En 1778, Adam Smith décide d'accepter la charge de commissaire aux douanes à Glasgow.

Adam Smith fait paraître de son vivant six éditions de la Théorie des sentiments moraux et cinq éditions de la Richesse des nations (1776, 1778, 1784, 1786 et 1789), qui sera traduite en plusieurs langues étrangères. Les disciples de Smith sont évidemment très nombreux. Parmi les plus célèbres, on mentionnera Jean-Baptiste Say, Thomas Robert Malthus, David Ricardo et J. C. L. Simonde de Sismondi (De la richesse commerciale, 1803).

La définition de l'économie politique dans la Richesse des nations :

"L'Economie politique, considérée comme une branche des connaissances du législateur et de l'homme d'Etat, se propose deux objets distincts: le premier, de procurer au peuple un revenu ou une subsistance abondante, ou, pour mieux dire, de le mettre en état de se procurer lui-même ce revenu ou cette subsistance abondante; - le second, de fournir à l'Etat ou à la communauté un revenu suffisant pour le service public; elle se propose d'enrichir à la fois le peuple et le souverain" (traduction de Germain Garnier, revue par Adolphe Blanqui, tome 2, p. 11).
Dans son History of Economic Analysis, Joseph Schumpeter affirme: "Mais, bien que la Richesse des nations ne contienne aucune idée véritablement nouvelle et bien qu'elle ne puisse rivaliser avec les Principia de Newton ou l'Origine de Darwin, c'est tout de même une grande ?uvre et qui mérite pleinement son succès" (1983, tome 1, p. 263).

David Ricardo

David Ricardo (1772-1823) est le fils d'un riche courtier en valeurs mobilières. Dès l'âge de 14 ans, son père le fait travailler auprès de lui à la Bourse de Londres. Bien qu'il ait eu quelques précepteurs, Ricardo n'a pas fait d'études poussées. Il s'intéresse en particulier à la géologie, à la chimie, à la minéralogie. À la suite de son mariage avec une quaker en 1793, il se brouille avec son père. Ainsi, à 22 ans, il devient courtier en valeurs mobilières et se spécialisera dans le commerce d'emprunts d'Etat ; "jobber", il est habilité à spéculer à la fois pour le compte de ses clients et pour son propre compte. A 43 ans (1815), il prend sa retraite, après avoir investi sa fortune en propriété foncière. En 1819, il entre à la Chambre des communes, dans l'opposition libérale et il y défend les intérêts des industriels et des financiers.

En 1799, il entreprend pour la première fois la lecture de la Richesse des nations. Mais ce n'est qu'une dizaine d'années plus tard, qu'il fait paraître ses premiers articles dans le Morning Chronicle et ses premières brochures sur la question monétaire. L'occasion est fournie par la "Bullion Controversy", relative aux conséquences de la suppression par la Banque d'Angleterre de la convertibilité des billets en or et en argent et l'instauration du cours forcé, entre 1797 et 1809. Ricardo fait la connaissance de James Mill et de Thomas Robert Malthus, qui l'encouragent à écrire. En 1814, il fait la connaissance de Jean-Baptiste Say.

En 1815, David Ricardo fait paraître l'Essai sur l'influence d'un bas prix du blé sur les profits, ou Essai sur les profits, dans lequel il expose une théorie de la rente foncière différentielle. En 1817, paraît la première édition des Principes de l'économie politique et de l'impôt ; la 2e édition sort en 1819, suivie d'une 3e édition en 1821, qui comporte des modifications importantes, dont l'ajout du chapitre XXXI sur la question des machines. En 1823, à la veille de sa mort brutale, Ricardo travaille sur un manuscrit, "Valeur absolue et valeur d'échange", qui sera retrouvé en Irlande, en 1943 par Piero Sraffa.

David Ricardo impose son empreinte personnelle à l'école classique et ses disciples sont nombreux. John Maynard Keynes (chap. 3 de la Théorie générale), affirme même: "Ricardo conquered England as completely as the Holy Inquisition conquered Spain". Parmi les disciples de Ricardo, on compte James Mill (1773-1836), auteur des Eléments d'économie politique (1821), John Ramsay McCulloch (1789-1864), auteur des Principes d'économie politique (1825) et réalisateur de la première édition des écrits de Ricardo (1846) et John Stuart Mill (1806-1873), auteur des Principes d'économie politique (1e édit., 1848). De plus, dans les années 1820-30, les "socialistes ricardiens" utilisent la théorie ricardienne pour soutenir les intérêts de la classe ouvrière: il faut mentionner ici les noms de William Thompson (Enquête sur les principes de la distribution de la richesse, 1824) et de Thomas Hodgskin (Le travail défendu contre les prétentions du capital, 1825).

La définition de l'économie politique dans les Principes :

"Le produit de la terre, c'est-à-dire tout ce que l'on retire de sa surface par l'utilisation conjointe du travail, des machines et du capital, est réparti entre trois classes de la communauté: les propriétaires de la terre, les détenteurs du fonds ou capital nécessaire à son exploitation, et les travailleurs qui la cultivent. [...]. Déterminer les lois qui gouvernent cette répartition, constitue le principal problème en Economie politique. Les écrits de Turgot, Steuart, Smith, Say, Sismondi et bien d'autres, sont autant d'apports à cette science, mais ils nous éclairent de façon peu satisfaisante sur l'évolution naturelle de la rente, des profits et des salaires" (p. 45). Cependant, Ricardo rend hommage à deux économistes : T. R. Malthus pour sa théorie de la rente et Jean-Baptiste Say pour ses prolongements apportés à Smith, en particulier sur la question des débouchés.

Jean-Pierre POTIER, Professeur de Sciences économiques à l'université Lumière-Lyon2 et chercheur au laboratoire Triangle - pôle Histoire de la Pensée (Centre Walras) pour SES-ENS.

Bibliographie

Smith (Adam) : Théorie des sentiments moraux, nouvelle traduction annotée par M. Biziou, C. Gautier et J.-F. Pradeau, Paris: P. U. F., 1999.

Smith (Adam) : An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, edited by R. H. Campbell and A. S. Skinner, Oxford : Oxford U. Press, deux volumes, 1976 [The Glasgow Edition of the Works and Correspondence of Adam Smith, vol. 2].

Smith (Adam) : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, traduction de Germain Garnier, revue par Adolphe Blanqui, Garnier-Flammarion, deux tomes, 1991.

Smith (Adam) : Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations, traduction d'après la 1e édition avec variantes des éditions ultérieures par Paulette Taieb, Paris : P. U. F., quatre tomes, 1995.

Smith (Adam) : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, nouvelle traduction coordonnée par Philippe Jaudel, sous la responsabilité de Jean-
Michel Servet, Paris: Economica, 3 tomes parus, 2000, 2002 et 2005.

Ricardo (David) : The Works and Correspondence, edited by Piero Sraffa, Cambridge : Cambridge U. Press, 1951-1973, 11 vol.

Ricardo (David) : Principes de l'économie politique et de l'impôt, édition de 1821, traduction de Cécile Soudan en collaboration, Paris : Garnier-Flammarion, 1992.

Ricardo (David) : "Valeur absolue et valeur d'échange", trad. de S. Denany et P. Maurisson, Cahiers d'économie politique, n° 2, 1975, P.U.F.

Ricardo (David): Essai sur les profits, trad. de F.-R. Mahieu, avec la coll. de M.-F. Jarret, Paris: Economica, 1988.

 

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