La sociologie de la famille autour de Jean-Hugues Déchaux
Stephanie Fraisse-D'Olimpio
Jean-Hugues Déchaux est professeur de sociologie à l'Université Lumière-Lyon II et membre du Modys (devenu le Centre Max Weber en janvier 2011 - Équipe "Dynamiques de la vie privée et des institutions"). La sociologie de la parenté constitue son axe principal de recherche et il étudie en particulier le rapport à la mémoire ou à la mort [1] et les relations d'échange au sein de la parenté à la fois sous l'angle de la sociabilité mais surtout dans leur dimension économique [2]. Il accorde à cet égard une place importante à la question des inégalités sociales [3]. Il est enfin l'auteur d'articles plus théoriques dont plusieurs sur N. Elias [4]. Ses recherches s'orientent depuis quelques temps vers l'analyse du lien de germanité notamment à l'âge adulte. Sa collaboration sur ce sujet avec N. Herpin a déjà fait l'objet de quelques articles [5] et constitue déjà une contribution fondamentale à un thème étrangement peu exploré jusqu'ici.
A travers ses recherches, Jean-Hugues Déchaux dévoile les métamorphoses ou les recompositions du lien familial là où certains sociologues insistent plus sur l'érosion de ce lien. Il met en évidence, en particulier dans ses travaux sur la mémoire des morts, l'idée que si les rapports familiaux sont plus instables, ils s'inscrivent encore aujourd'hui dans l'histoire familiale. Il souligne ainsi que le souvenir des morts ne décline pas, mais que chacun se construit sa propre mythologie des origines, sa mémoire familiale, en continuant de fait à se situer dans la lignée. Il établit à cet égard dans Le souvenir des morts, une distinction entre l'affiliation lignagère et l'affiliation subjectiviste. L'affiliation lignagère qualifie une appartenance familiale forte et ritualisée. (On pense par exemple à la participation au rite de la Fête des Morts qui répond souvent à un motif familial favorisant l'ancrage dans la lignée). L'affiliation subjectiviste au contraire qualifie une appartenance familiale plus indéterminée. Elle est subjectivement éprouvée plutôt que socialement reconnue et célébrée. (La Fête des Morts est alors perçue comme une formalité sans réelle signification émotive). En somme, la conscience personnelle remplace le rite. On retrouve à travers le souvenir des morts les contradictions qui affectent les autres dimensions du lien familial, à savoir l'idéal d'un lien librement choisi par un individu autonome et l'appartenance assignée de ce même individu dans un ordre des choses, une lignée.
Dans son ouvrage sur La sociologie de la famille, paru au cours de l'été 2007 dans la collection « Repères » des éditions La Découverte, J-H. Déchaux montre à nouveau les contradictions qui traversent la famille. Il insiste particulièrement sur la progression de « l'individualisme moral » qui contribue à ébranler le rapport entre l'individu et la famille. L'expression « individualisme familial » résume bien pour lui l'idéal de liberté qui a gagné la sphère familiale. L'individualisme ne signifie pas la dissolution des normes mais plutôt leur redéfinition. En effet, si des normes nouvelles émergent et contribuent à déterminer ce qui doit être socialement valorisé (ce qu'est un « bon couple », une « bonne famille »...), ébranlant en cela les normes anciennes, il est excessif de parler de dérégulation de la famille. Par ailleurs, l'émergence de normes nouvelles ne se traduit pas par leur affaiblissement mais au contraire plutôt par leur abondance, ce qui induit des styles conjugaux, éducatifs...variés et peut être d'ailleurs facteur d'inégalités.
L'ouvrage de Jean-Hugues Déchaux présente une vision d'ensemble des changements affectant la famille. Il a accepté de nous accorder un entretien pour apporter des éclairages sur le contenu très riche de son travail. Nous l'en remercions.
L'entretien audio avec Jean-Hugues Déchaux.
ens-real.ens-lsh.fr/SES/rmtomp4/m4a/dechaux/dechaux.m4a
Quelques contributions de l'auteur
"L'argent entre germains adultes : ambivalence, déni et parades", Enfances, familles, générations, n°2, 2005.
"Entraide familiale, indépendance économique et sociabilité", Economie et statistique, n°373, avril 2005. Ecrit en collaboration avec N. Herpin.
La bibliographie complète de Jean-Hugues Déchaux est disponible sur sa page personnelle.
Une présentation générale de l'ouvrage "Sociologie de la famille"
Pour ceux qui n'auraient pas (encore) lu le travail de Jean-Hugues Déchaux, nous vous proposons une présentation générale de son livre ainsi que son introduction. Enfin, pour compléter cette réflexion, vous trouverez la présentation de quelques recherches récentes sur des thèmes variés relatifs à la sociologie de la famille.
Une synthèse de l'ouvrage de J-H Déchaux sur SES-ENS.
Vous trouverez l'introduction en ligne sur le site cairn (édition 2009 du Repères).
Quelques synthèses d'ouvrages ou d'articles abordant des thèmes importants de la sociologie de la famille
C. Attias-Donfut, M. Segalen, Grands-parents, la famille à travers les générations, Odile Jacob, 2007.
Michel Bozon, François Héran, La formation du couple, Collection « Grands Repères », La Découverte, 2006.
Martine Gross (dir.), Homoparentalités, état des lieux, Collection « La vie de l'enfant », Edition érès, 2005.
Wilfried Rault, "Entre droit et symbole. Les usages sociaux du pacte civil de solidarité", Revue française de sociologie, n°48-3, 2007, p.555-586.
Eclairages à partir d'études réalisées aux Etats-Unis :
J. Hickes-Lundquist, The Black-White gap in marital dissolution amoung young adults: what can a counterfactual scenario tell us ?, Social problems, vol.53, issue 3, 2007, pp.421-441.
D'autres articles importants sur le sujet
Tristan Poullaouec, "Les familles ouvrières face au devenir de leurs enfants", Economie et statistiques, N° 371 - dec. 2004
Claudine Attias-Donfut, François-Charles Wolff et Philippe Tessier. "Les transferts intergénérationnels des migrants âgés", Economie et statistiques, n°390, juil 2006.
Les fiches de lecture de Liens Socio
François de Singly (dir.), L'injustice ménagère. Armand Colin, 2007.
Cyril Desjeux, Homosexualité et procréation : les prémices d'un matriarcat ? Analyse stratégique du processus de décision d'avoir un enfant dans un couple homosexuel. L'Harmattan, coll. "Logiques sociales", 2006.
La filiation recomposée : origines biologiques, parenté et parentalité no4 de la revue Recherches familiales, 2007.
Pascal Duret, Le couple face au temps. Armand Colin, coll. "individu et société", mai 2007.
Béatrice Jacques, Sociologie de l'accouchement, Presses universitaires de France, coll. "Partage du savoir", janvier 2007.
Stephanie Fraisse-D'Olimpio pour SES-ENS.
Notes
[1] J-H. Déchaux, Le souvenir des morts. Essai sur le lien de filiation. Paris, PUF, coll.Le lien social, 1997.
J-H. Déchaux en collaboration avec M. Hanus et F. Jésu (dir.), Les familles face à la mort. Entre privatisation et resocialisation de la mort, Le Bouscat, éd. L'Esprit du Temps, coll.Psychologie, 1998 ou encore, pour ne citer qu'un article : J-H. Déchaux, « Un nouvel âge de mourir : la mort en soi », Recherches Sociologiques (Louvain), vol.32, n°2, 2001, p.79-100.
[2] J-H. Déchaux, « Les échanges économiques au sein de la parentèle », Sociologie du Travail, vol.32, n°1, 1990, p73-94.
J-H. Déchaux, « Les trois composantes de l'économie cachée de la parenté. L'exemple français », Recherches Sociologiques (Louvain), vol.25, n°3, 1994, p37-52...(la liste n'est pas exhaustive).
[3] J-H. Déchaux, « Les échanges dans la parenté accentuent-ils les inégalités ? », Sociétés Contemporaines, n°17, mars 1994.
J-H. Déchaux, N. Herpin « Entraide familiale, indépendance économique et sociabilité », Economie et Statistique, n°373, 2004, p 3-32.
[4] J-H. Déchaux, « N. Elias et P.Bourdieu : analyse conceptuelle comparée », Archives Européennes de Sociologie, vol.34, n°2, 1993, p 364-385.
J-H.Déchaux, « Sur le concept de configuration : quelques failles dans la sociologie de Norbert Elias », Cahiers Internationaux de Sociologie, vol.99, 1995, p.292-313.
J-H Déchaux, « La mort dans les sociétés modernes : la thèse de Norbert Elias à l'épreuve », L'Année Sociologique, vol. 51, n°1, 2001, p. 161-184.
[5] J-H.Déchaux, N. Herpin, « Germanité et amitié : trois modèles d'entraide », Revue Européenne de Sciences Sociales, vol.43, n°3, 2004, p.557-581.
J-H. Déchaux, N. Herpin, « La bienveillance fraternelle et ses limites : le soutien moral entre germains adultes », L'année sociologique, vol.57, 2007, n°1, 2007.