Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Articles / 5 questions à Thomas Grjebine sur le modèle européen de financement de l'économie

5 questions à Thomas Grjebine sur le modèle européen de financement de l'économie

Publié le 25/09/2015
Auteur(s) - Autrice(s) : Thomas Grjebine
Complément au Repères "L'économie mondiale 2016" du CEPII. Dans cet interview, Thomas Grjebine nous éclaire sur les différents modèles de financement - européen et anglo-saxon -, leurs avantages et limites en phase de reprise, et les effets attendus du projet d'Union des marchés de capitaux de l'UE.

Thomas Grjebine est le co-auteur du chapitre "Financement de l'économie : le modèle européen remis en question" (avec Urszula Szczerbowicz et Fabien Tripie), publié dans L'économie mondiale 2016 (CEPII, La Découverte, collection Repères, septembre 2015).

1) Quelles sont les spécificités du modèle européen de financement de l'économie ?

Le modèle européen est fondé sur un financement de l'économie par les banques (le crédit), ce qui le différencie du modèle de financement existant aux Etats-Unis reposant davantage sur les marchés (émission d'actions ou d'obligations).

A titre d'exemple, le crédit bancaire représente moins d'un cinquième du financement total de l'économie aux Etats-Unis contre plus de 50% dans la zone euro. Notons que le financement obligataire est une tradition ancienne aux Etats-Unis. La part des obligations représentait déjà 54% de la dette des entreprises dans les années 1950 [Grjebine, Szczerbovicz, Tripier, 2015].

2) Quels sont ses avantages et ses inconvénients ?

L'histoire économique et les études récentes ne permettent pas de dire qu'un système financier reposant sur les marchés serait plus favorable à la croissance de long terme qu'un modèle reposant sur les banques, et réciproquement [Levine, 2002 ; La Porta et al., 1997].

Néanmoins, l'organisation du système financier peut avoir un impact important lors des phases de reprise économique, notamment suite à des crises bancaires. Lorsque les banques sont défaillantes, l'existence d'un marché obligataire permet, en effet, aux entreprises de trouver une source de financement alternative au crédit bancaire. Ce qui peut permettre aux entreprises d'investir de nouveau, et donc aux économies de repartir plus rapidement [Grjebine, Szczerbovicz, Tripier, 2014].

3) Les différences de structure de financement des entreprises peuvent-elles expliquer les écarts de croissance actuels entre les pays anglo-saxons (Etats-Unis et Royaume Uni notamment) et les pays de la Zone Euro ?

Certaines études récentes soulignent en effet que l'économie américaine a retrouvé plus rapidement le chemin de la croissance, après la grande récession de 2008-2009, grâce à son système financier qui lui a notamment permis de substituer du financement obligataire au financement bancaire [Adrian et al., 2012 ; Becker et Ivashina, 2014]. Du fait de la crise financière, les banques étaient en effet en grande difficulté. L'existence d'un marché obligataire développé a permis aux entreprises américaines de trouver une source de financement alternative au financement bancaire défaillant.

4) Que peut-on attendre du projet d'Union des marchés de capitaux (UMC) de l'Union Européenne ?

La Commission européenne a lancé en février dernier un grand projet d'Union des marchés de capitaux qui vise à approfondir et intégrer davantage les marchés de capitaux dans les 28 Etats membres de l'Union. L'objectif est de diversifier les sources de financement au sein de l'Union européenne pour réduire la dépendance des entreprises européennes au financement bancaire.

Il s'agit à la fois d'agir sur la demande de financement, en permettant aux entreprises actuellement exclues des marchés de capitaux d'y accéder, mais également sur l'offre, en diversifiant les acteurs du financement des entreprises et en améliorant l'attractivité des marchés européens pour les capitaux étrangers. L'accès au financement obligataire est, en effet, aujourd'hui réservé aux plus grandes entreprises. Si les plus petites entreprises resteront probablement exclues de ces marchés, l'enjeu de la réforme est de faire baisser la taille critique à partir de laquelle les entreprises pourraient avoir accès à ces modes de financement.

5) Quels sont les risques d'une telle réforme ?

Si la crise financière récente a remis en cause le modèle européen car trop dépendant des banques, il faut souligner que le financement par les marchés peut aussi être porteur d'instabilité. Les crises financières de la fin des années 1990 dans les pays émergents ont en particulier montré les dangers potentiels du développement de tels marchés. Les crises en Russie en 1998, au Brésil en 1999 ou en Argentine en 2000 ont été accompagnées d'une panique sur les marchés financiers et d'une vente massive d'obligations.

Au final, si une diversification des sources de financement paraît souhaitable pour éviter que les économies plongent avec les banques en cas de difficultés de ces dernières, le rôle des autorités publiques sera aussi d'assurer une régulation efficace de nouveaux modes de financement, gage de la stabilité du futur système financier européen.

Propos recueillis par Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS.


Pour aller plus loin :

Adrian, T., Colla, P., Shin, H. (2012), "Which Financial Frictions ? Parsing the Evidence from the Financial Crisis of 2007-2009", NBER Working Paper No. 18335.

Becker, B., Ivashina, V. (2014), "Cyclicality of credit supply: Firm level evidence", Journal of Monetary Economics, 63, 76-93.

Grjebine, T., Szczerbowicz, U., Tripier, F. (2014), "Corporate Debt Structure and Economic Recoveries", CEPII Working Paper, N°2014-19.

Grjebine, T., Szczerbowicz, U., Tripier, F. (2015), "Financement de l'économie : le modèle européen remis en question", L'économie mondiale 2016, La Découverte, 2015.

La Porta, R., Lopez-de-Silanes, F., Shleifer, A., Vishny, R. (1997), "Legal Determinants of External Finance", Journal of Finance, American Finance Association, vol. 52(3), pages 1131-50, July.

Levine, R. (2002), "Bank-based or market-based financial systems: which is better ?", Journal of financial intermediation, 11(4), 398-428.

 

Consulter les autres ressources complémentaires.

Retour à la page d'accueil "CEPII - L'Economie mondiale 2016".

 

Mots-clés associés : ,